Alors que le label agriculture biologique fête ses 40 ans en France, une question persiste dans les esprits : manger bio est-il vraiment meilleur pour la santé ? Derrière les débats enflammés sur les réseaux sociaux et les prises de position parfois contradictoires d’institutions publiques, qu’en dit réellement la recherche scientifique ? Dans un épisode récent du podcast L’Heure du Monde, le journaliste Stéphane Foucart (service Planète du Monde), spécialiste des pesticides, démonte les idées reçues et éclaire un sujet souvent déformé par la désinformation. Nous vous invitons à écouter ce podcast et reprenons ici les principaux points relevés !

Un consensus scientifique… trop peu relayé
Contrairement à ce qu’on lit souvent, le sujet n’est pas si controversé qu’on l’imagine. "Il y a une forme de consensus parmi les chercheurs compétents", explique Stéphane Foucart. Et ce consensus est même traduit dans les politiques publiques : depuis 2019, le Programme National Nutrition Santé (PNNS) recommande d’augmenter la part d’alimentation bio dans notre assiette.
Mais un écart persiste entre les preuves scientifiques accumulées et la manière dont ces résultats sont (mal) interprétés dans l’espace public. Des affirmations erronées ou biaisées circulent massivement, parfois relayées par des figures se réclamant de la science — mais s’appuyant sur les éléments de langage de l’industrie agrochimique.
Ce que montrent les études épidémiologiques
Si les effets du bio sont difficiles à prouver au sens strict du terme (les études sont longues, coûteuses, et complexes), les résultats existants sont loin d’être anecdotiques.
L’étude la plus robuste à ce jour est française : il s’agit de la cohorte NutriNet. En 2018, elle révèle que les personnes qui consomment le plus d’aliments bio ont un risque significativement réduit de développer certains cancers, en particulier les lymphomes et le cancer du sein post-ménopause. D’autres résultats sont tout aussi frappants : un meilleur métabolisme, une moindre prise de poids, une réduction du risque de diabète.
Des bénéfices sont également identifiés en lien avec le système reproducteur et le développement du fœtus. L’exposition aux pesticides pendant la grossesse est aujourd’hui reconnue comme un facteur de risque de troubles neurodéveloppementaux (TDAH, autisme, retard mental). Une étude de 2015 estime même que les seuls insecticides organophosphorés seraient responsables d’une perte moyenne de 2,5 points de QI par enfant en Europe, et de plus de 60 000 cas de retard mental au sein de l’UE.
Bio et cadmium : un autre risque évité
L’alimentation biologique semble également mieux nous protéger contre la contamination au cadmium, un métal lourd présent dans certains engrais phosphatés. Or, le cadmium est aujourd’hui suspecté de favoriser le cancer du pancréas. Là encore, l’agriculture bio, qui utilise peu voire pas du tout ces engrais, réduit significativement l’exposition.
Pourquoi les preuves manquent encore… et pourquoi c’est politique
Faut-il davantage d’études ? Oui. Mais leur rareté ne vient pas d’un manque d’intérêt scientifique, plutôt d’une réalité économique et politique : “Intensifier la recherche sur les bénéfices du bio, c’est un peu se tirer une balle dans le pied”, analyse Stéphane Foucart. La France reste un grand pays exportateur de produits issus de l’agriculture conventionnelle. Favoriser le bio, ce serait interroger les bases mêmes de notre modèle agricole… et donc déranger de puissants intérêts.
Résultat : les études sur les effets bénéfiques du bio sont peu financées. Pire, lorsqu’elles sortent, elles sont souvent relativisées, attaquées ou ignorées — y compris par certaines institutions publiques comme l’Académie de médecine ou l’Institut National du Cancer, qui ont selon lui qualifié des études sérieuses d’infox”, sans jamais corriger leur position.
Quelles solutions concrètes ?
Si on prend ces résultats au sérieux, les leviers d’action sont connus :
- Appliquer la loi : La loi EGAlim prévoit 20 % de bio en restauration collective. Nous en sommes loin.
- Changer les règles du jeu : Aujourd’hui, les aides à l’agriculture sont surtout attribuées à la surface. Il faut soutenir davantage les agriculteurs bio pour encourager les conversions. D’autant plus que nous parlons ici de l’intérêt pour la santé, mais l’agriculture bio a également d’autres externalités positives sur la pollution de l’eau, la biodiversité ainsi que l’autonomie alimentaire de la France aujourd’hui très dépendante d’intrants de synthèse importés.