Elles sont bergère, maraîchère, floricultrice, éleveuse, vigneronne… Et selon ces spécialités, elles vivent toutes les cinq la condition paysanne différemment. Nous les avons interrogées pour savoir ce qu’être une femme changeait dans leur métier. Portraits croisés.
Je suis floricultrice en Bretagne. Mon temps se découpe entre la formation (40% de mon temps) et mes cultures. Là, c’est la pleine période des semis, donc je suis pas mal aux champs ! Avant, j’ai travaillé dans la communication plusieurs années. Depuis 2019, j’effectue la bascule vers mon nouveau métier.
À part dans le Var, où il y a encore des exploitations familiales construites sur un modèle traditionnel (l’homme dirige, la femme soutient), la floriculture est une profession hyper-féminisée. La filière s’est effondrée dans les années 70 sous la pression du marché hollandais et cela fait seulement quelques années qu’elle se recompose en France. Nous sommes à peu près 500 — en majorité des femmes — et environ 80 nouvelles floricultrices (permettons-nous l’accord de multitude !) s’installent chaque année. Ce qui ne veut évidemment pas dire qu’il ne faut pas plus d’hommes dans le métier.
Je suis encore sur une petite surface, mais je ne pense pas que la différence se fasse au niveau physique. Il faut être sportive, c’est sûr, mais le corps des femmes est résilient.
En revanche, je constate que les outils ne sont pas façonnés pour nos morphologies. Les débroussailleuses ont des manches longs, les tracteurs sont adaptés à des jambes d’hommes de 1m80. Les fringues agricoles sont quasi-inexistantes pour les femmes. Donc, on a le choix entre être serrées aux hanches ou flotter à la taille dans un pantalon trop large par ailleurs ou payer plus cher pour des vêtements souvent moulants, roses et dépourvus de poches.
Je sens aussi que dans mon éducation, je n’ai pas été assez bien armée sur les travaux manuels. Je manque un peu de confiance en moi quand il s’agit de bricoler, réparer, faire de la mécanique. Récemment, nous avons monté des toilettes sèches avec mes collègues pour le terrain que je cultive. On l’a fait entre femmes, donc je savais qu’on n’allait pas me prendre de haut ou le faire à ma place. Mais seule, je ne crois pas que je me serais lancée dans ce chantier.
Les fleurs, c’est vu comme un truc de meufs. Et comme le métier est majoritairement féminin, il vient avec son cortège de clichés ! Quand un couple s’installe à la ferme, c’est madame qui est préposée aux bouquets et aux marchés, pendant que monsieur se casse le dos dans les champs. Et globalement, peu de gens se rendent compte de la pénibilité du métier de floriculteur, quel que soit notre genre. En dépit de cette image que se font les agriculteurs (« c’est gentillet »), cela demande de la force et de l’endurance.
Au quotidien, je ressens aussi beaucoup de sexisme ordinaire. Ce n’est pas méchant, mais ça va être un livreur qui s’étonne que ce soit moi qui bouge la montagne de compost qu’il m’a apportée ou un fournisseur qui me fait sentir que je suis une femme.
Changer les imaginaires dès l’école. Dans mon BPREA, on a eu un exemple de ferme où l’homme cultivait les légumes de plein-champs et la femme avait une mini-parcelle avec des légumes anciens qu’elle vendait au marché. Évidemment, la majorité du chiffre d’affaires était réalisé par l’homme. Et faire bouger ce genre de clichés, ça commence dès le lycée agricole, où il faut faire un gros effort pour montrer les agricultrices à l’œuvre, dans toutes les spécialités.
Globalement, dans la profession, il faut arrêter de penser l’agriculture au masculin neutre. Les femmes doivent être représentées dans les syndicats. Leurs réunions ne doivent pas être à 19h, pour qu’elles puissent y aller en assumant leur vie de famille.
Dans l’imaginaire collectif, il y a des choses qui bougent, par exemple le documentaire "Que veulent les croquantes" qui montre des agricultrices en action.
Ce sont plutôt des paysannes qui se sont lancées dans les dix dernières années. Notamment Marie Fischer, bergère de la Ferme Bacotte d’(@agriculturepoetique), qui se débrouille bien et qui prend la parole sur plein de sujets, ou encore Hélène Reglin, maraîchère de la ferme d’Artaud, qui montre qu’on peut être une maraîchère toute seule.
De se tester et si ça leur plaît, de ne pas hésiter. Et bien observer ses freins et peurs pour comprendre si ce sont des croyances limitantes ou des obstacles concrets. Ce métier est à la portée de toutes.
Je suis à la fois cultivatrice de simples sur deux hectares et éleveuse de poneys anglais de la race « dartmoor » en Ariège. Ce sont de petits chevaux anglais qui ont été très peu trafiqués. Ils ressemblent à de minis chevaux typés arabes et sont proches de l’homme. Avant, je dirigeais un centre équestre dans la région toulousaine… J’ai eu envie de rendre leur liberté aux chevaux et qu’ils m’aident à cultiver mes plantes de cœur, l'hélichryse et la rose.
Côté plantes médicinales, la proportion femmes-hommes est plutôt équilibrée. Beaucoup d’hommes cueillent des plantes sauvages. Pour le métier d’éleveuse, je ne saurais pas dire. Il me semble que le modèle traditionnel persiste : les hommes portent le statut d’agriculteur et leurs conjointes sont exploitantes. On les retrouve toujours dans les écuries, en tout cas.
Je pense qu’il y a des différences fondamentales dans le rapport aux plantes et aux animaux et dans la propension à se remettre en question. Je constate que les hommes agriculteurs que je connais sont coupés de leurs émotions, ils ne se laissent pas du tout aller à ce qu’ils qualifient de sensibleries. Je parle aux animaux de ma ferme (mes poneys, ma tortue d’adoption) et à mes plantes. On me prend pour une hurluberlu.
Je remets aussi en question mes pratiques agricoles. En face, je constate que les hommes ont souvent des convictions plus fortes et ont du mal à faire évoluer leurs pratiques culturales ou d’élevage.
Enfin, c’est parfois compliqué pour moi car je n’ai pas de compétences en mécanique… Mais je fais le travail à la main et je suis probablement plus résiliente que certains hommes quant à ces tâches minutieuses.
Je pense qu’il faut essayer d’évacuer la peur identitaire autour des femmes puissantes. En ce qui me concerne, je fais peur aux hommes, parce que je suis 100% autonome, je manie le tracteur et la tronçonneuse, je me chauffe au bois… Il y a quelque chose qui se joue au niveau de l’égo et qui empêche une égalité femme-hommes dans la profession.
Je suis aussi apicultrice et j’adore observer des femmes avec leurs abeilles, j’apprends toujours beaucoup d’elles. Cela m’ouvre l’esprit et m’aide à tester de nouvelles pratiques.
D’y aller, car on a besoin de femmes dans l’agriculture. Besoin de leur sensibilité, de leur capacité à écouter et entrer en symbiose avec la nature. Ce métier est merveilleux : on a un lien privilégié avec notre environnement, c’est ce qui a fait l’humain jusqu’à aujourd’hui.
Et tous les jours, je leur conseille d’écouter la joie que ce métier réveille en elles. C’est une activité éreintante, exigeante. Mais être paysanne sans joie, ça n’a aucun sens.
Je suis viticultrice en Alsace, je tiens à quatre mains avec ma mère une exploitation viticole de 6 hectares qui effectue en ce moment une conversion vers la bio. Je me suis reconvertie en 2020 car auparavant, j’étais technicienne de laboratoire.
Historiquement, je dirais qu’il y a une large majorité de viticulteurs. Si on revient 30 ans en arrière, lorsque ma mère a commencé, cela ne se faisait pas du tout en Alsace de transmettre ses vignes à une fille. Cela dit, la tendance va plutôt vers un meilleur équilibre et aujourd’hui, car il y a beaucoup plus de femmes dans le monde du vin qu’avant.
Je suis régulièrement confrontée à des remarques lors d’un achat matériel. On demande à parler à mon père et mon mari. Quand je réponds que je vais utiliser ledit matériel, silence radio. Ce sont des situations assez cocasses !En revanche, je trouve quand même qu’il y a du progrès dans l’adaptation du matériel agricole aux morphologies féminines. Au niveau mécanisation, on a plus d’outils pour nous faciliter le travail, donc c’est facile de travailler à compétences égales avec un homme. Les tracteurs permettent aujourd’hui d’avancer les sièges, là où avant on devait s’assoir au bord du siège pour toucher les pédales. Maintenant, on a aussi les tarières pour planter les piquets et des sécateurs électriques. D’ailleurs, les hommes ne s’en passent plus non plus !
On m’a dit que les vins que nous confectionnons avec ma mère sont des vins de femmes. Je peux difficilement juger de ce que cela veut dire. Est-ce que c’est plus fin, y a-t-il un style particulier ? Il y a forcément des a priori (positifs ou négatifs) derrière cette phrase. Est-ce que la personne aurait qualifié nos vins comme ça si elle n’avait pas su que nous les avions vinifiés ? Mystère.
Si on reprend l’exemple de la concession agricole, quasiment jamais aucune femme n’y travaille, alors que magasinière ou mécanicienne sont aussi des métiers féminins. Pareil dans les concessions agricoles : les seules femmes y sont secrétaires ou comptables, jamais conseillères. Il faut donc féminiser ces métiers. Et ça, ça passe à la fois par le fait d’inciter les femmes à oser les exercer, mais aussi par changer le regard des hommes qui pensent que ce n’est pas pour elles.Dans le métier en lui-même, en Alsace, les pressions à l’ancienne sont encore tenaces : quand un vigneron y a un fils, c’est à lui de reprendre le domaine viticole, même si sa fille a envie de le faire. Quand ma mère a repris les vignes de mon grand-père il y a 30 ans, cela ne se faisait pas du tout. Elle en a bavé, car il y avait une certaine conception de la propriété des terres et que comme elle n’était pas du coin, les autres viticulteurs considéraient aussi qu’elles les avaient « volées ». Quand elle était sur le tracteur, elle entendait de sales remarques, par exemple qu’elle allait « tout arracher ».
Qu’elles s’accrochent et qu’elles y aillent, parce qu’il n’y a pas de raison de s’empêcher de faire quelque chose dont on a envie pour se conformer à quelques diktats. Être vigneronne, c’est la liberté d’être dehors, de gérer son temps comme on le veut. Se priver de cela, ce serait dommage.
Je suis bergère dans les Pyrénées-Atlantiques. Nous sommes à deux sur l’exploitation avec mon conjoint. Lui s’occupe du maraîchage et moi de l’élevage et de la transformation de fromages. J’ai toujours vécu en haute-montagne : la première fois que j’y suis montée, j’avais huit mois ! C’est là que j’ai mon troupeau.
Nous avons plusieurs formations d’élevage ovin et bovin ici. De plus en plus de femmes s’installent, notamment certaines qui se reconvertissent, qui ont déjà 40 ans. Je dirais qu’il y a plus d’hommes en bovin car c’est imposant, mais en caprin et ovin nous sommes nombreuses.
Je pense que les femmes ont tendance à plus devoir « faire leurs preuves », montrer que c’est possible d’être, elles aussi, bergères. Mais elles sont souvent beaucoup plus minutieuses. Les hommes comptent sur leur force physique, mais les femmes ont d’autres atouts. Cela dit, comme j’ai grandi dans une famille d’agricultrices, j’ai quand même plus de crédibilité. Homme ou femme, ceux qui ne sont pas agriculteurs de naissance ont aussi plus de mal à se faire leur place.
Il y a encore ce réflexe de se dire que le berger est un homme. Souvent, on me demande si c’est moi, la bergère. Eh bien oui ! On me questionne aussi souvent pour savoir si les brebis sont à moi. Les gens pensent que berger, c’est un job d’été.
Et sinon, c’est un cliché renversé, les hommes mentent beaucoup plus sur leurs CV. Ils ont plus d’assurance et parfois, tu as de mauvaises surprises. J’ai une fois eu un homme qui avait dit qu’il savait traire et une fois arrivé, il savait le faire à la machine, pas à la main… Ça se voit assez vite, pourtant.
Il faudrait qu’il y ait un moins grand décalage entre la réalité et ce que pensent les gens du métier de l’agriculture. Les gens sont très connectés sur Internet mais assez déconnectés de l’agriculture. Un homme m’a dit qu’il ne savait pas faire la différence entre une brebis et une chèvre. Il avait 40 ans. Il faudrait que les gens s’intéressent déjà à ce qu’ils mangent. Avant, tout le monde avait un carré potager, et pas qu’à la campagne. Maintenant, les gens vont dans les grands magasins où il y a tout. Ils ne parlent plus aux producteurs. Il faudrait qu’’ils retournent au marché. Ce n’est pas qu’un truc de grands-parents ! Si les gens s’intéressaient plus à comment leur alimentation arrive dans leur assiette, les clichés sur mon métier seraient moins présents.
Ma mère, une de ses amies et ma tante ont été les premières à emmener des enfants en haute-montagne, sans leurs maris. L’été, on était sur l’estive et les papas étaient en bas. Je suis montée pour la première fois à huit mois en montagne et j’ai grandi auprès de ces modèles de paysannes. J’ai eu une première carrière avant mais au moment de me lancer, j’ai su que c’était possible car les femmes de ma famille avaient pavé la voie.
C’est un métier qu’on fait par passion, pas pour gagner de l’argent. Il faut aimer les animaux et aimer être dehors, les mains dans la terre. Nous avons des brebis laitières. Donc, on trait le matin et le soir, on ne compte pas ses heures. Quand l’activité marche bien, il y a possibilité d’avoir du salariat pour prendre des weekends et des vacances… Mais il faut que ça tourne suffisamment. En tout cas, c’est un beau métier ! Moi, j’y suis revenue après des études de biologie à Toulouse, car mon compagnon avait besoin d’aide avec son troupeau. Aujourd’hui, nous sommes tous deux bergers sur l’exploitation.
Je suis maraîchère en Haute-Garonne. Je cultive des légumes bio de saison sur petite surface et également quelques fruits, tels le melon et la pastèque, en maraîchage diversifié. Avant, j’étais auditrice financière et je faisais du conseil en finance d’entreprise chez KPMG. Dans ma quête de sens, le métier de maraîchère m'a paru me correspondre. J’ai donc passé le BPREA à distance avant d’être salariée agricole un an. Depuis septembre, je suis à mon compte dans un espace test, un endroit financé par une communauté de communes, pour 4 ans.
Énormément de gens se reconvertissent. Je suis formatrice dans un centre de formation agricole. Beaucoup de femmes commencent dans des exploitations d’autres agricultrices reconverties. Depuis 2 ans, il y a deux fois plus de femmes qui s’installent. Les cheffes d’exploitation sont une réalité. Après, sur les proportions, je n’ai pas les chiffres en tête…
Non, je ne pense pas. Sur des petites exploitations en maraîchage, donc très peu mécanisées, il n’y a pas de différences. En revanche, ce métier est hyper physique. Il faut avoir une bonne condition sportive et de l’endurance. Quand je dois mettre une bâche d’ensilage sur mon plein champ toute seule, j’y passe des heures… Mais je suis pas sûre qu’en tant qu’homme j’aurais plus de facilités.
En revanche, il faut reconnaître une réalité de genre dans l’éducation : les filles sont moins armées en mécanique. J’ai du mal à atteler un outil à mon tracteur. Je ne suis pas experte, ce n’est pas intuitif. Si j’avais plus de notions de mécanique, ce serait plus facile. Le jour où je quitterai l’espace test, ce sera un handicap.
Non, je ne suis confrontée à aucun cliché. Mais je suis un peu dans un microcosme… J’ai beaucoup de maraîchers nouvellement installés dans mon entourage. Je suis à 20 km de Toulouse. Quand je vais à la coopérative, je n’ai jamais ressenti une quelconque discrimination. Les gens m’aident à mettre les sacs de 25 kilos de compost dans le camion : on pourrait considérer que c’est de la discrimination positive, mais je pars du principe que c’est plutôt de la bienveillance.
Quand j’ai commencé à bifurquer et que le maraîchage m’a paru être une opportunité car cela me correspondait et que c’était accessible, je suis tombée sur la ferme du Bec Hellouin. Perrine Hervé-Gruyer, la co-gérante, était auparavant juriste. Puis, elle s’est reconvertie avec son compagnon pour créer cette ferme en agro-écologie. Je m’étais dit au vu de son exemple que c’était possible. Sa philosophie de vie était intéressante, c’était un retour aux sources sur une exploitation à taille humaine, ancrée dans la nature. Son projet alliait un métier et un projet de vie : cela m’a plu et inspirée.
Je leur dirai que le maraîchage est un métier passionnant et que si c’est leur choix, elles doivent le faire !
Cela dit, il faut peser quelques éléments avant de prendre cette décision. Une ferme doit être rentable. Pour qu’elle le soit, il faut beaucoup de travail. Elles doivent donc se renseigner sur la réalité du quotidien, pour éviter de prendre une douche froide.
Côté financier, il faut aussi bien mesurer de combien elles ont besoin pour vivre. Les agriculteurs·trices ont souvent du mal à dégager un SMIC malgré de gros horaires. La première année, on ne gagne généralement rien mais on a des frais. On a 90% de chances d’être en-dessous du salaire moyen. Moi, j’exerce deux métiers (maraîchère et formatrice).Mais si ces futures agricultrices ont bien pesé le pour et le contre et que c’est vraiment ce qu’elles souhaitent faire, il faut y aller à fond. Ce métier est tellement beau et la vie est si courte. En ce qui me concerne, je ne regrette absolument pas mon choix.
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