Quelle agriculture pour s’adapter au manque d’eau et préserver cette ressource ?

Quelle agriculture pour s’adapter au manque d’eau et préserver cette ressource ?

Entre les Landes et les Pyrénées-Atlantique se trouve la Forêt de Higas à Estibeaux. Si la pluviométrie moyenne de ce territoire compte parmi les plus élevées de France, la question de l’accès à l’eau se pose tout autant qu’ailleurs. En effet, érosion des sols, déboisement, pratiques agricoles intensives… même si l’eau tombe en quantité, elle ne s’infiltre pas dans les sols et ruisselle jusqu'à retourner dans l’océan. Yoann Lang connaît bien ces phénomènes. Dans la Forêt de Higas, il met tout en œuvre pour remettre l’eau au cœur de son système agronomique, grâce à un allié de poids : l’arbre. Il nous livre ses conseils pour se prémunir autant que possible du manque d’eau et contribuer à son échelle à préserver cette ressource.

Concevoir son système agronomique en s’inspirant de la nature

« Il faut s’inspirer de la nature. C’est elle qui nous guide vers là où il faut aller »

Et en effet, Yoann a conçu la Forêt de Higas en reproduisant des phénomènes naturels issus d’adaptations multiples. Ainsi, le terrain de 7ha est réparti en zones. La première, quand on entre, est dédiée au maraîchage, notamment les légumes d’été. Elle est parsemée de quelques arbres dans les planches, et est légèrement boisée tout autour comme dans une grande clairière. Plus on avance vers le fond du terrain, plus le boisement se densifie et grandit. Les petits arbres (pêchers, pommiers…) sont peu à peu remplacés par des cerisiers ou des merisiers puis viennent les chênes, les noyers, les châtaigniers dans une canopée naturelle. Ces zones reproduisent différents écosystèmes résilients et garantissent une grande diversité d’essences et de variétés cultivées.

L’INRAE, dans son dossier consacré à l’eau dans son magasine d’avril 2022 de Ressources, présente en effet le choix de la polyculture comme une nécessité pour être plus résilient et réduire sa dépendance aux intrants, et à l’irrigation : « Plutôt que de cultiver la variété la plus performante dans un environnement homogène et contrôlé par l’utilisation d’intrants, il s’agit de combiner une diversité de variétés et d’espèces pour s’adapter à des conditions fluctuantes ». Et ce n’est pas un hasard si l’INRAE précise que ce sont les monocultures, notamment de céréales, qui représentent la majorité des cultures irriguées en France : 48 % pour le maïs, 18 % pour les autres céréales dont le blé, selon les données de l’Agreste en 2010.

Adapter son agriculture au manque d'eau

©Valentin Izzo

« L’été dernier, j’ai constaté que des chênes naturels, vieux de douze ans, perdaient leurs feuilles au mois d’août… Vu leur envergure, on peut imaginer qu’ils n’ont pas trouvé d’eau jusqu’à 10m en profondeur… C’était du jamais vu, et ça remet beaucoup de choses en question ».

Pour Yoann, l’observation de la nature compte tout autant - si ce n’est plus - que les théories qui ont guidé ses choix agronomiques. Après l’année 2022 qui a été marquée par une sécheresse historique, l’heure est au bilan… et à l’adaptation.

Les pruniers ont moins bien résisté ? On les remplace par des pistachiers, des anacardiers ou même quelques palmiers dattiers. Les arbres plantés ont plus souffert que les arbres semés ? On privilégiera le semis d’arbre à l’avenir, pour préserver leur système racinaire et permettre à leurs racines pivots de creuser profondément dans le sol et d’y puiser l’eau. On ne conserve des arbres fruitiers plantés - et donc greffés, que dans certains axes particulièrement ensoleillés en vue d’une production arboricole. Pour tout le reste du terrain, les fruitiers seront francs et serviront à nourrir les animaux présents sur les parcelles. 

Faire la place belle à l’arbre pour préserver la ressource en eau

« Près de la ferme, des villages sont régulièrement inondés, alors que les réserves en eau dans le sol sont au plus bas…  On assiste à des inondations en pleine période de sécheresse parce que l’eau ruisselle, faute de pénétrer dans le sol. L’arbre est le seul capable d’infiltrer et de filtrer cette eau jusque dans les nappes phréatiques. »

En effet, l’un des nombreux services écosystémiques rendus par les arbres est justement la régulation des flux d’eau de pluie, à la fois grâce à l’infiltration, mais aussi grâce à la captation des eaux de pluie par les feuillages. 

Les fonctions écosystémiques de régulation de l’arbre


- Réguler les flux d’eau de pluie : infiltrer et filtrer l’eau par leur système racinaire jusque dans les nappes phréatiques, capter une bonne partie de l’eau de pluie avant qu’elle ne tombe au sol, notamment pour les feuillus ;
- Favoriser la biodiversité en attirant de nombreux insectes pollinisateurs et oiseaux ;
- Faire barrage à certains ravageurs, tels que les sangliers, notamment grâce aux haies de poncirus, ou citronnier épineux, dont les épines peuvent atteindre jusqu’à 15 cm ;
- Capturer le carbone de l’air en le stockant dans le sol, et contribuer ainsi à atténuer les émissions de gaz à effet de serre, responsables de la hausse des températures ;
- Réguler les températures grâce à l’évapotranspiration et à l’ombrage - par exemple, en ville, on constate 1 à 3°C de moins dans les îlots de chaleur en présence d’arbres.

Et à la Forêt de Higas, l’arbre est partout. Parsemé dans les planches maraîchères pour laisser la lumière pénétrer, le long des 2,5 km de haies qui vont être plantées, au sein de la canopée au fond du terrain…

Les couverts végétaux pour diminuer les besoins en eau

« A la Forêt de Higas, nous avons un sol très argileux. C’est un gros avantage, parce que quand il est couvert, il joue un rôle d’éponge. Nous le recouvrons de 50 à 70 cm de broyats, et cela permet de maintenir une humidité dans le sol, même en cas de grosses chaleurs ».

Les couverts végétaux sont très efficaces pour diminuer les besoins en eau. L’Inrae a ainsi mené des études pour mesurer les économies d’eau réalisées dans un système de conservation des sols, constitué de non travail du sol, d’une diversification des cultures et d’une utilisation de couverts végétaux.

Et les résultats sont sans appel : « On observe qu’à quantité d’eau égale, on a un système plus productif en biomasse : + 15 % à 20 %. On a donc augmenté l’efficience de l’eau. »

Par ailleurs, plusieurs avantages liés à l’eau sont répertoriés :

- Les plantes bénéficient d’un meilleur stock d’eau dans les sols : leur “réserve utile” augmente de 8 à 15 % par rapport à des sols travaillés, notamment grâce aux galeries de vers de terre et aux réseaux de racines qui y sont préservées ;

- Les plantes sont mieux nourries du fait d’une amélioration des associations symbiotiques, notamment grâce à la présence favorisée des champignons ;

- La rétention de l’eau dans les sols est aussi favorisée par les couverts d’intercultures qui, une fois détruits, apportent au sol de la matière organique qui améliore le stockage de l’eau.

- Les couverts végétaux ont également un impact sur la qualité de l’eau au niveau des captages d’eau potable puisqu’ils limitent le lessivage des effluents vers les cours d’eau, notamment les nitrates. 

Mettre en place un système global et piloté de gestion de l’eau

« Nous sommes situés en bas d’une vallée et recueillons les eaux de ruissellement des parcelles agricoles alentours. Nous avons donc installé un premier étang pour capter ces eaux et les filtrer avec un système de phytoépuration. Nous avons aussi installé des micro retenues d’eau à chaque départ de ruissellement pour le freiner et mieux infiltrer l’eau dans le sol. »

Pas de forage qui puiserait dans les réserves des nappes, à la Forêt de Higas on mise sur la récupération des eaux de pluie et de ruissellement. Et si l’on souhaite arroser le moins possible, autant s’équiper d’un système efficace et pilotable au jour le jour pour limiter les pertes. Ainsi, à ce réseau d’étangs et de canaux pour arroser les parcelles, s’ajoute un équipement de mesures météorologiques, pour calculer l’impact de la température, de l’hygrométrie (mesure de l’humidité présente dans l’air) ou de la puissance des vents sur la croissance des arbres. Un précieux outil d’aide à la décision pour Yoann.

Et en effet, toujours d’après l’Inrae, 15 à 25% d’économie en eau serait possible en améliorant le matériel d’irrigation et entre 10 à 40% en disposant d’un pilotage de l’irrigation : « environ 80 % des irrigants utilisent l’aspersion, parfois avec un matériel ancien, alors qu’il existe des systèmes plus économes en eau, tels que des systèmes localisés (micro-aspersion, goutte-à-goutte…). Il existe aussi des possibilités d’économie en pilotant l’irrigation à l’aide d’outils d’aide à la décision qui permettent d’apporter la bonne quantité d’eau au bon moment.» On peut citer par exemple Weenat, qui propose un dispositif de station météo connectée pour mieux piloter son irrigation et anticiper les aléas climatiques.

Des aides de l’Union Européenne pour encourager les économies d’eau

L’Union européenne propose des aides pour encourager les économies d’eau, à condition de déclarer une économie à venir de 5 à 25 % (selon les régions) sans diminuer le rendement des cultures. Il faut donc estimer les économies d’eau prévues grâce à l’investissement effectué - et en fonction du matériel existant, du sol, du climat et du type de culture.

Demandez conseil auprès de votre Chambre d’Agriculture ou des groupements de producteurs locaux pour identifier les aides qui peuvent vous correspondre.

Diffuser les pratiques vertueuses sur l'eau

« On aura beau faire tout ce qu’on peut, ce ne sera pas suffisant si les grandes exploitations ne nous rejoignent pas. Le dialogue local est difficile sur les sujets qui concernent l’accès à l’eau. Nous allons réunir différents acteurs locaux lors d’une Fresque AgriAlim prochainement, pour sensibiliser et tenter d’essaimer le système. »

Si Yoann mesure, note, observe, analyse, c’est bien aussi pour être en capacité d’informer les autres agriculteurs, mais aussi les collectivités et le grand public sur cette agriculture nourricière, plus respectueuse du vivant et économe en eau.

Yoann conseille aussi de s’entourer de nombreux experts et professionnels du secteur pour effectuer les relevés de biodiversité ou les analyses de sol. « C’est précieux de bénéficier de regards extérieurs, et cela permet de constituer un réseau pour peser auprès des agriculteurs plus réticents ».

La Fresque AgriAlim, un outil de sensibilisation aux problématiques agricoles

La Fresque AgriAlim est un atelier participatif à destination des citoyens, associations, collectivités, entreprises. En s’inspirant de la pédagogie de La Fresque du Climat, l’atelier s’appuie sur des documents de référence et vise à :
- Rassembler les acteurs de votre territoire, vos collaborateurs, les partenaires de vos projets ;
- Former aux enjeux du système alimentaire : ses composantes, ses mécanismes et ses impacts ;
- Catalyser l’action individuelle et collective vers une agriculture et une alimentation durable pour tous. FEVE est partenaire de la Fresque AgriAlim. N’hésitez pas à contacter l'équipe si vous souhaitez en organiser une près de chez vous.

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